Poisson d’or, poisson africain 
CINÉ-RENCONTRES

SAMEDI 25 MAI à 20 h 30

SYNOPSIS


A` Nairobi, Kena et Ziki mènent deux vies de jeunes lycéennes bien différentes, mais cherchent chacune a` leur façon a` poursuivre leurs rêves. Leurs chemins se croisent en pleine campagne électorale au cours de laquelle s’affrontent leurs pères respectifs. Attirées l’une vers l’autre dans une société́ kenyane conservatrice, les  deux jeunes femmes vont être contraintes de choisir entre amour et sécurité́...

ENTRETIEN avec la réalisatrice


Pouvez-vous expliquer le titre, Rafiki ?

Rafiki signifie ami en Swahili, et souvent, les gays et lesbiens kenyans s’abstiennent de présenter leur partenaire. À la place, ils les appellent « rafiki ».


Le film se passe à Nairobi. Comment avez-vous choisi les différents lieux, et quelle importance ont-ils à vos yeux ?

Nous avons choisi un quartier animé et vivant de Nairobi. Après quoi, nous avons réécrit le scénario pour y situer l’action. C’est un quartier assez vaste, avec des églises, des écoles, des magasins, entouré par un mur dont une des ouvertures donne sur un barrage. Là-bas, tout le monde se connaît et tout se sait, la vie privée est un luxe. Nous voulions aussi que le quartier reflète la population de Nairobi, des boda-boda, les chauffeurs de moto, aux hommes politiques de différents bords, en passant par les vendeurs en kiosques qui relaient les ragots. Le quartier bruyant, éclatant, intrusif s’opposait parfaitement à l’espace secret, calme, intime que les filles essaient de créer.


Qu’est-ce que cela signifie aujourd’hui au Kenya de raconter cette histoire, de réaliser ce film ?

Réaliser un film sur deux jeunes femmes qui s’aiment pose la question des relations homosexuelles en Afrique de l’Est, qui fait partie, plus largement, de la question des droits humains. Au cours des cinq années passées à développer ce film, nous avons assisté à une évolution inquiétante du climat anti-LGBTI en Afrique de l’Est. Certains films de la région ainsi que des émissions de télévision internationales ont été interdits pour des raisons de contenu LGBTI. Ce climat a étouffé les discussions sur les droits LGBTI et a réduit la liberté d’expression. Mais j’espère avant tout que mon film sera vu comme une ode à l’amour, qui ne se passe jamais sans heurts, et comme un message d’amour et de soutien à ceux d’entre nous qui doivent choisir entre l’amour et la tranquillité. Je voudrais que ce film pousse un cri, là où des voix ont été tues.

Les droits LGBT en Afrique sont très limités. Les gays subissent des discriminations, des persécutions, et parfois même, ils risquent la mort, mais récemment ils ont commencé à se battre pour trouver leur place dans la société. Pensez-vous que votre film va aider à changer les choses ?

Pendant le tournage, nous avons longuement discuté des relations homosexuelles avec les acteurs, l’équipe, nos amis, nos proches, et d’autres, issus de la société toute entière. Rafiki fait naître des conversations sur l’amour, les choix et la liberté. Non seulement la liberté d’aimer, mais aussi la liberté d’inventer des histoires. Nous espérons que ces conversations nous rappellerons que nous avons tous le droit d’aimer, et que la négation de ce droit par la violence, la condamnation et la loi est une violation de notre raison d’être fondamentale : la possibilité de l’amour.

Rafiki

Wanuriu KAHIU

From a Whisper, son premier long-métrage réalisé en 2008, revient sur les événements qui se sont déroulés lors des attentats des ambassades américaines de Nairobi et de Dar es Salaam en 1998. En 2009, elle réalise pour la télévision For Our Land, sur la lauréate du prix Nobel de la paix Wandari Maathai.


Co-fondatrice d’Afrobubblegum, société de média qui promeut un art africain dynamique et jovial, Rafiki est le second long-métrage de W. Kahiu. Sélectionné pour le festival de Cannes, dans la sélection Un certain regard, c'est le premier film kényan jamais sélectionné à Cannes.


EXTRAITS CRITIQUES


Décrié au Kenya, le film de Wanuri Kahiu dépeint une société cruelle, prête à mettre en pièces un flirt de lycéennes. Le film peut sembler maladroit dans la mise en place presque enfantine du jeu de séduction entre Kena et Ziki, mais il se fait nettement plus précis et cruel quand il décrit la reprise en main du couple par tous ceux qui ne supportent pas qu’elles soient ensemble. On mesure alors à quel point cette coalition des différentes homophobies (au nom de la religion, de la bienséance sociale, de la crainte de la différence, des valeurs machistes, etc.) s’alimente au feu d’un consentement commun à la frustration et à une transmission généreuse du malheur d’un groupe à l’autre, d’un individu à l’autre, y compris évidemment par amour ou par amitié, ce qui est bien le pire. Le film capte quelque chose de cet air vicié de la non-reconnaissance minoritaire qui semble un antidote crucial à la majorité hétéro pour continuer de respirer librement, et il n’est pas si fréquent de voir cette étrange biologie complémentaire saisie en une courte fiction à la fausse douceur aguicheuse. Libération, Didier Péron


Malgré sa bonne humeur, son ode à la sensualité (les scènes de sexe déplient de très délicates chorégraphies des corps) et un happy-end un peu en trompe l’œil, ce film kenyan – le premier sélectionné à Cannes en 70 ans – livre un constat navrant sur les persécutions dont sont victimes les communautés LGBT et homosexuelles. Sans surprise, Rafiki fait ainsi l’objet d’une censure féroce dans son pays. En découvrant le film de cette réalisatrice courageuse, on partage sa consternation et quelques moments de grâce.    Les Inrocks, Emily Barnett


Tiré de la nouvelle Jambula Tree de l’Ougandaise Monica Arac de Nyeko, Rafiki s'ouvre avec un montage rythmé de plans tenant du clip, sur fond du bien balancé Suzi Noma de la rappeuse Muthoni Drummer Queen (toute la musique du film est signée d’artistes femmes africaines). Est circonscrit le quartier de Nairobi où Kena et Ziki habitent deux univers distincts. (…)La mise en place, filtrée par des jeux de transparences colorées, décrit un univers quasi pagnolien de commérages et de rites de groupe, notamment les messes dominicales aux effrayants prêches homophobes. (.) L'on préfère retenir la grâce incroyable de ces deux comédiennes, et l’émotion qui naît d’une relation père-fille dont on n’attendait rien, et qui nous cueille au bord des larmes par son intelligence et sa bienveillance inespérée.  

Libération, Elisabeth Franck-Dumas

  

Wanuri Kahiu est née a` Nairobi en 1980. Elle fait partie de la nouvelle génération de cinéastes africains. Elle a participé à de nombreux festivals et son travail, en tant que scénariste et réalisatrice, est régulièrement salué par la critique internationale.

Poisson d'or, poisson africain

Ciné-rencontres 2019